La séparation comptable dans le secteur ferroviaire : le cas de SNCF Infra

Le système ferroviaire français tel qu’il existe aujourd’hui est issu d’une séparation instituée par le législateur entre les activités de gestion de l’infrastructure et d’exploitation de services de transport. Cette volonté s’est notamment matérialisée par la création du gestionnaire d’infrastructure RFF en 1997, qui détient et exploite le réseau ferré national.

Toutefois, et c’est une singularité française, la loi a confié à RFF le réseau sans lui donner les pleins moyens nécessaires à son exploitation. En effet, le gestionnaire d’infrastructure délègue certaines activités à la SNCF : la gestion des circulations qui est assurée par la DCF et l’entretien du réseau assuré par SNCF Infra.
Or, ces deux activités de gestion déléguée revêtent un caractère particulièrement stratégique et crucial : elles sont indispensables au bon fonctionnement du réseau ferré, et elles constituent l’essentiel des coûts supportés par RFF, qui les répercute aux entreprises ferroviaires par le biais des redevances d’utilisation de l’infrastructure.

On comprend l’ambiguïté et les risques inhérents à cette situation : détenteur d’un pouvoir évident, l’opérateur historique pourrait potentiellement l’utiliser à des fins anticoncurrentielles dans la perspective de nuire à l’activité et au développement des entreprises ferroviaires alternatives.

Par ailleurs, l’Autorité de la concurrence, saisie par l’Araf pour avis, identifie des risques concurrentiels sur deux niveaux de marchés : sur le marché du transport ferroviaire, pour les raisons précédemment exposées, mais aussi sur le marché des activités d’infrastructure ouvertes à la concurrence, et qui relève d’une problématique concurrentielle d’ordre plus général.

La nécessaire séparation comptable de l’activité infrastructure au sein de la SNCF

Au sein de l’opérateur historique coexistent donc à la fois des activités monopolistiques de gestion déléguée de l’infrastructure, mais aussi des activités concurrentielles d’exploitation de services de transport ferroviaire. La séparation comptable apparaît donc comme un palliatif nécessaire afin de s’assurer de l’étanchéité financière de ces deux activités ou, du moins, d’une imputation aussi fidèle que possible des coûts, à la fois de manière horizontale (entre les activités de la SNCF) et verticale (qui proviennent des fonctions transverses du holding).

Le texte de loi qui fonde cette obligation de séparation comptable et sur lequel l’Arafs’appuie dans l’exercice de sa mission, est l’article L.2122-4 du code des transports.

C’est dans ce contexte que le régulateur a été saisi en juin 2013 pour approbation du référentiel présentant l’ensemble des règles, principes et périmètres comptables concernant l’activité infrastructure de la SNCF. Ce référentiel comporte l’ensemble des règles qui régissent les relations financières, au sein de la SNCF, aussi bien horizontalement que verticalement. Elles en décrivent les activités et domaines concernés, pour chaque catégorie de prestations, ainsi que les règles d’affectation et de facturation des coûts correspondants.

Après près d’un an d’instruction, l’Autorité a rendu sa décision le 15 juillet 2014. Une décision importante qui intègre les modifications apportées par la réforme ferroviaire

L’Autorité a conduit ce dossier au même moment que les discussions parlementaires relatives au projet de loi de réforme ferroviaire et elle a souhaité rendre ses conclusions avant que la loi n’impacte de manière effective l’organisation du système ferroviaire, soit avant le 1er janvier 2015.

L’instruction du dossier a été effectuée au regard du bilan de l’activité infrastructure au 31 décembre 2012, tel que présenté dans les comptes dissociés de gestion sur la base desquels l’Araf a été saisie. Toutefois, l’Autorité a souhaité, dans un souci de pertinence et d’exhaustivité, étendre son analyse au bilan de l’activité au 31 décembre 2013. Cette analyse l’a conduit à formuler un certain nombre de réserves techniques qui portent notamment sur le périmètre de séparation comptable tel que proposé par la SNCF, les résultats du test de dépréciation des actifs, les règles de gestion relatives au transfert des actifs et aux subventions d’investissements associées, aux dividendes internes ainsi qu’au taux de frais financiers de long terme. Par ailleurs, l’Araf a souhaité inscrire cette Décision et les conséquences qu’elle implique dans le cadre de la réforme en cours.

Il convient donc au préalable de bien comprendre ce que prévoit cette réforme. Il s’agit de repenser l’organisation du système ferroviaire en France autour de trois établissements publics : deux « établissements-filles », dont l’un, SNCF Mobilités, regroupera les activités de transport ferroviaire, et l’autre, SNCF Réseau, sera le gestionnaire d’infrastructure réunifié. Un « établissement-mère », SNCF, coiffera l’ensemble et sera chargé, outre de fournir un certain nombre de prestations transverses, de s’assurer de la cohérence de l’ensemble ainsi formé. La structure SNCF Réseau est ainsi issue du rapprochement entre RFF et l’activité infrastructure de la SNCF, y compris la DCF. Cette nouvelle organisation devrait donc pouvoir permettre de résoudre mécaniquement le problème de séparation avec les activités concurrentielles de transport ferroviaire, celles-ci étant « expurgées » de SNCF Réseau. Toutefois, l’internalisation des fonctions de gestion déléguée de l’infrastructure au sein du gestionnaire d’infrastructure réunifié n’effacera pas l’ensemble des prestations auxquelles il a recours, notamment celles rendues par d’autres activités de SNCF Mobilités ou bien par l’Epic de tête SNCF. Seules les modalités contractuelles et financières qui vont matérialiser ces prestations seront amenées à évoluer.

Comme l’Araf l’a rappelé dans sa décision, la loi de réforme ferroviaire comporte des dispositions, qui, combinées aux obligations prévues par la directive européenne 2012/34, devront être respectées par la SNCF, avec notamment l’obligation de l’établissement et de la publication de comptes annuels pour SNCF Réseau dans le cadre de règles et de principes qui permettent de s’assurer de l’absence de subventions croisées.

La SNCF devra avoir adressé un référentiel de séparation comptable modifié à l’Araf avant fin octobre 2014. Ce référentiel devra tenir compte des réserves qu’elle a formulées dans sa décision. L’Autorité sera particulièrement vigilante à la correcte application de ce référentiel aux comptes relatifs à l’exercice clos au 31 décembre 2014. En effet, c’est précisément sur la base de ces comptes dissociés de gestion à cette date de clôture comptable que l’activité infrastructure de la SNCF doit être transférée à SNCF Réseau au 1er janvier 2015.

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